extrait : 2051 à Toulouse

Le Docteur Louis Édouard Lergson regardait en s’habillant la jeune fille nue, endormie. Lorsqu’il s’était levé, elle avait entrouvert les yeux, repoussé les draps et s’était retournée sur le ventre, en écartant les bras et les jambes comme pour capter toute la fraîcheur du lit. En enfilant son ensemble de veltil aux couleurs chatoyantes, il se dit que pour un peu il se serait rallongé près d’elle et aurait glissé les doigts entre ses cuisses. Son œil s’attarda là où reposait la fleur rose et humide qu’il avait consommée cette nuit.

            Mais ce n’était pas raisonnable. S’il était utile et même bénéfique de conserver une activité sexuelle régulière pour augmenter, deux ou trois fois par semaine, la pression et maintenir ainsi la souplesse des artères artificielles, il ne fallait pas pour autant s’exposer à une trop grande fatigue, au risque de voir les dernières greffes rejetées.

            Édouard Lergson se demanda s’il allait lui ordonner de revenir ou s’il utiliserait les services d’une ou deux autres filles la prochaine fois, lundi sans doute. Il susurra pour lui-même :

« Trois plutôt ! Ça fait longtemps que je n’ai pas fait une bonne partouze ! »

Comme si elle avait senti que son sort se décidait, la jeune brune à la peau de pêche et aux seins généreux se retourna et entrouvrit les yeux.

« Tu pars déjà ? Moi, j’aimerais dormir encore un peu, si tu veux bien.

– Reste. Tu n’auras qu’à demander un petit-déjeuner à l’andro et Orlanda t’ouvrira pour sortir. »

La jeune fille s’était déjà rendormie. Édouard sourit. À son âge, il pouvait encore fatiguer une jeunette, c’était rassurant. Il était pourtant né en 1950, ce qui faisait de lui un centenaire ! Mais il disposait de nombreux jeunes organes. C’était le miracle du clonage thérapeutique, une entreprise qu’il était fier d’avoir soutenue dès les premières heures. La longévité, dès lors que peu de gens avaient les moyens de se l’offrir, octroyait des avantages non négligeables. Dont en premier lieu, la puissance politique !

            La plupart des responsables gouvernementaux de l’époque de la Guerre de l’eau avaient disparu aujourd’hui. Ceux-là faisaient partie de cette génération rétrograde qui s’était décidée trop tardivement à utiliser les organes des clones thérapeutiques dont ils avaient pourtant encouragé le développement. Un reste de moralité anachronique sans doute ! Ils étaient convaincus que les organes devaient uniquement servir à soulager des malades. C’était ridicule. Lui, dès 2027, avait commandé cinq clones qu’il renouvelait depuis, chaque fois que l’un d’eux, trop utilisé, ne pouvait plus survivre. À partir de 2032, époque à laquelle les clones, qui bénéficiaient d’un programme de croissance rapide, avaient été exploitables, il avait commencé à remplacer un à un tous ses organes, comme les pièces d’un puzzle. Chemin faisant, il avait aussi amélioré son apparence. Il suffisait de prévoir un peu à l’avance une chirurgie esthétique sur l’un des clones. La peau était l’organe le plus aisé à changer et les progrès en anesthésie locale temporaire permettaient maintenant les plus folles fantaisies. Dans les années trente, il avait des pectoraux d’athlète, un nez grec, des mains de pianiste et une verge digne d’un guerrier africain. Aujourd’hui, il était revenu à la simplicité, n’autorisant que les améliorations fonctionnelles comme un système osseux et cartilagineux légèrement plus épais, des muscles plus efficaces, un volume adipeux plus adapté à sa vie de citadin et à son statut de responsable. Il s’autorisait, pour le plaisir, une langue dotée de doubles papilles, grâce à laquelle il était connu comme un fin gourmet, et des zones érogènes légèrement mieux innervées. Évidemment, il avait opté pour un cœur artificiel et des artères synthétiques pour des raisons de fiabilité, mais pour le reste, il aimait déclarer que sa mère l’aurait reconnu.

             Il passa directement à son bureau et commanda un petit-déjeuner immédiat. Il entendit l’andro de cuisine se mettre à la tâche. Il était temps qu’il en commande un plus silencieux.

(…)